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Chroniques
Arthur Honegger
mélodies
Connu comme fervent serviteur de la mélodie [lire notre critique du CD], Gabriel Fauré (1845-1924), en prenant de l’âge, jugea ses cadets d’une façon que nous rapporte son second fils, Philippe Fauré-Fremiet : « De certaines œuvres très modernes, il disait simplement : “Je trouve ça laid.” Ce qu’il réprouvait sans ambages c’était la sécheresse du cœur, la pauvreté de l’imagination, le goût de l’artifice […]. Il considérait Honegger comme le seul parmi les jeunes qui eût vraiment un grand tempérament de musicien » (in Gabriel Fauré, Éditions Rieder, 1929).
Formé par de solides musiciens – Capet (violon), Gedalge (contrepoint), Widor (composition) et d’Indy (direction d’orchestre) –, Arthur Honegger (1892-1955) approcha les poètes tout au long de sa vie – Apollinaire, Jacob, Cendras puis Valéry et Claudel. D’où un important corpus de chansons et mélodies écrites en marge de ses autres ouvrages fondés sur le Verbe, qu’ils se nomment opéras (L'aiglon, Antigone), opérettes (Les aventures du roi Pausole, La belle de Moudon), oratorios (Jeanne d'Arc au bûcher, Judith, Cris du monde), cantate (La danse des morts) ou psaume symphonique (Le roi David) – sans parler de ses nombreuses musiques de scène, pour le cinéma et au service de pièces radiophoniques, lieux de parole à part entière [lire nos chroniques de L’aiglon, Les aventures du roi Pausole, La danse des morts et Le roi David]. Le coffret édité par Centaur a la bonne idée de proposer par ordre chronologique l’intégrale des mélodies et chansons.
Marquées par la Grande Guerre, les années dix évoquent souvent la mort et la prière (Quatre poèmes H.7), mais aussi la mélancolie de l’automne, celle des rencontres passagères (Six poèmes d’Apollinaire H.12). Quelques références chrétiennes infiltrent la décennie suivante (Vierge Marie, Noël, etc.), mais sans égaler la part ludique (Six poésies de Jean Cocteau H.51), voire sensuelle (danseuse, sirènes, etc.) de textes souvent brefs. L’arrivée de la Seconde Guerre mondiale voit un enracinement dans l’essence religieuse, avec le recours au psaume (français, latin, hébreu), entre recueillement et allégresse. Comme dans Saluste du Bartas H.152, l’amour n’est pas loin mais, souvent « c’est la grande peine », ainsi que l’exprime Jean Giraudoux dans l’intéressant Petits cours de morale H.148.
Accompagnés par l’efficace Nick Ross au piano, Claudia Patacca et Sinan Vural se partagent le programme, sans forcément respecter l’homogénéité d’un cycle. Le soprano néerlandais plaît par sa fraîcheur souple et cristalline tandis que le baryton turc, souvent meilleur côté diction, offre une santé facilitant la nuance. Signalons enfin l’intervention d’un quatuor à cordes pour trois extraits des Pâques à New York H.30 – Jana Ross et Nicholas Szucs (violons), Joseph Nigro (alto) et Wesley Baldwin (violoncelle) –, dont les harmoniques aiguisent la détresse de vers signés Blaise Cendrars.
LB